Avec une discrétion inhabituelle, Apple a lancé début février 2013 un service pour les développeurs d’applications. Pas de matériel au design révolutionnaire ni même un nouveau logiciel, mais un simple nom de domaine AppStore.com. Cette nouvelle agite la communauté ICANN.
Dans une récente chronique du JDN Stéphane Van Gelder fustige la « panne d’innovation » dont souffrirait Apple sur sa stratégie de nommage. En cause ? Le lancement d’un service de redirection « AppStore.com » grâce auquel les développeurs vont pouvoir attirer plus facilement les utilisateurs vers leurs applications. Plutôt que de forcer les internautes à retenir la longue adresse de la boutique en ligne ou d’afficher forcément le logo Apple dans leur communication, les développeurs peuvent désormais diriger leurs – futurs – clients vers une adresse comme Appstore.com/Tweetdeck. S’il est vrai qu’à première vue, le lancement d’un « simple » nom de domaine n’a rien de très nouveau – on soulignera tout de même que c’est une des premières fois que la firme à la pomme abandonne son nom propre dans une offensive de communication – nous pensons que ce procédé est assez malin de la part d’Apple et mérite qu’on l’examine, pour plusieurs raisons.
Pas besoin de la marque. On sait qu’Apple connaît des difficultés face à Amazon au sujet du terme « App Store ». Apple n’a jamais réussi à enregistrer ce terme sous forme de marque : après un premier revers le 6 juillet 2011 devant une Cour fédérale californienne déclarant que le terme était générique, , un juge américain a rejeté la plainte pour « contrefaçon » déposée par Apple à l’encontre d’Amazon le 3 janvier de cette année et ordonné aux deux entreprises de se réunir au mois de mars pour trouver un accord. Avec le nom de domaine correspondant, rien de tout cela : Apple en est bien le titulaire incontestable – même si elle ne l’a acquis qu’à la faveur d’un don, puisqu’elle n’avait pas pensé à vérifier que le nom de domaine était bien disponible avant d’utiliser le terme en public. Mieux encore, avec ce nouveau service, les nombreuses applications elles-mêmes se feront les relais d’Apple pour promouvoir l’association spécifique entre la société et ce terme.
Pas de Sunrise. On se souvient de l’émoi des entreprises quand Facebook a lancé une fonction similaire sans les prévenir : en un temps record elles ont du déposer leurs marques sous cette forme, sans que rien ne soit prévu pour les litiges (ainsi BMW s’en est bien tiré mais Mercedes n’a pas eu cette chance ). La procédure rappelle d’ailleurs les fameuses « Sunrise » des noms de domaine, ces périodes spécifiques justement prévues au lancement de nouvelles extensions (le .Eu, le .Mobi, ou plus récemment le .SX en ont connu une) pour que les entreprises puissent sécuriser leurs marques ou les noms de leurs produits avant que le grand public ne puisse faire des demandes similaires. En imposant que le mot présent dans l’URL soit uniquement le nom de l’application, Apple s’affranchit de la majorité de ces risques et contraintes.
Apple contrôle la chaîne. En effet, contrairement à ce dont les professionnels des noms de domaine ont l’habitude, Apple ne permet pas au développeur qui souhaiterait bénéficier d’un lien Appstore de choisir les termes qui suivent la barre oblique. C’est le nom de l’application ou celui de l’éditeur qui sont utilisés. L’entreprise a même publié des règles à destination de ses développeurs afin qu’ils renomment leurs applications pour que les noms soient compatibles avec les URLs. En clair, non seulement on ne peut pas choisir son URL , mais encore l’URL force à changer le nom de l’application elle-même : une obligation de plus imposée par Apple à l’égard de ces développeurs.
Coexistence sans intermédiaire. Avec cette méthode, le développeur n’a strictement rien à faire ou à configurer, il n’a même pas d’intermédiaire à trouver ou à régler : l’URL existe automatiquement, on peut choisir de l’utiliser ou non. Par ailleurs, contrairement à un nom de domaine, la coexistence d’applications utilisant des termes identiques est possible : AppStore.com/Twitter renvoie par exemple sur une page de recherche regroupant toutes les applications utilisant le réseau social, alors que Twitter.com ne peut renvoyer que vers un seul site, par exemple.
Disponible immédiatement. C’est sans doute le point le plus important dans la démarche d’Apple. Bien sûr, on peut se demander pourquoi l’entreprise n’a pas fait une demande auprès de l’ICANN pour une future nouvelle extension « .App », comme treize autres projets concurrents, préférant – pour en faire quoi ? – se concentrer le .Apple. La réponse tient peut-être en une anecdote : le .AppStore est apparu pour la première fois dimanche soir, pendant le Super Bowl américain, un des événements les plus regardés au monde dans une publicité pour une application liée au film « Star Trek » sans doute un des plus attendus de l’année. Il est utilisable dès maintenant par les millions de fans qui souhaitent télécharger l’application… Pendant ce temps, les candidats au .App attendent toujours un calendrier clair de l’ICANN pour savoir, entre autres, comment sera déterminé « le » .App qui l’emportera sur les douze autres.
Bonne idée d’Apple pour Apple, donc, mais les développeurs, eux, devront être prudents. En effet, le service est mis à disposition gracieusement par Apple, mais n’est même pas – pour le moment - mentionné dans le contrat « Developer Program » en vigueur que nous avons pu consulter. Sachant qu’Apple peut fermer ou modifier le service à tout moment, sans recours possible, il est probable que l’encadrement juridique de cette fonctionnalité viendra bientôt, avec une exonération de responsabilité de l’entreprise californienne quant aux conséquences potentielles, ainsi qu’une solution aussi simple qu’irréaliste si le développeur refuse l’application de cette nouvelle procédure : quitter l’App Store et donc renoncer au référencement de son application.
Par ailleurs, même si le contrat qu’ils signent avec Apple prévoit bien une interdiction de « choisir un nom d’application qui soit substantiellement similaire au nom d’une autre application dans le but de créer une confusion dans l’esprit du public », on peut se demander si la généralisation des adresses « appstore.com/ » ne sera pas source de contentieux avec certains noms de domaine… voir même avec les – futurs – noms de domaine en .App justement !
Anecdotique à première vue, le lancement de ce nouveau service est cependant riche d’enseignements pour les acteurs du nommage. Pour remporter l’adhésion face à ce type d’outil, une future « nouvelle extension » devra être aussi simple, avec des règles de fonctionnement claires et ne bouleversant pas les habitudes des Internautes. Elle devra en outre prendre en compte les besoins des entreprises et leur proposer des moyens efficaces pour protéger leurs marques. Par ailleurs, ces dernières auraient tort d’ignorer le phénomène : l’arrivée de ces redirecteurs montre plus que jamais l’importance du nom de domaine bien choisi dans une stratégie marketing et juridique efficace et indépendante : même si utiliser un redirecteur est facile, enregistrer son propre nom de domaine reste la solution la plus sûre de maîtriser entièrement sa stratégie, sans être à la merci d’un tiers, qu’il s’agisse de Facebook, de LinkedIn… ou d’Apple, donc.
Source : Journal du Net
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