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Le nom de domaine des collectivités locales : nom [non] disponible ?

25 janvier 2013 08:46

L’article L 45-2 du Code des Postes et des Communications Electroniques modifié par la loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 et son décret n°2011-926 du 1er août 2011 relatif à la gestion des domaines de premier niveau de l’Internet a introduit en France un régime de protection limitée des noms de domaine des collectivités locales. En effet selon cet article, le nom des collectivités locales n’est plus protégé contre le dépôt de nom de domaine par un tiers agissant de bonne foi et présentant un intérêt légitime. Dit autrement, cela signifie que toute société privée peut valablement être propriétaire d’un nom de domaine correspondant au nom d’une commune. Consciente des difficultés qu’engendre ce texte pour les administrations locales, la Cour de Cassation a redonné espoir, dans un arrêt du 10 juillet 2012, d’une reconnaissance de la protection des noms de domaine des collectivités locales sur le fondement de la responsabilité délictuelle (article 1382 du Code Civil).

 

Les règles applicables aux noms de domaine des collectivités locales

 

Le décret n° 2007-162 du 6 février 2007 relatif à l’attribution et à la gestion des noms de domaine de l’internet avait créé un article R 20-44-43 dans le Code des Postes et des Communications Électroniques disposant que : "Sauf autorisation de l’assemblée délibérante, le nom d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, seul ou associé à des mots ou abréviations faisant référence aux institutions locales, peut uniquement être enregistré par cette collectivité ou cet établissement public comme nom de domaine au sein des domaines de premier niveau correspondant au territoire national".

Ce texte permettait une protection importante du nom des collectivités locales en tant que nom de domaine. Il avait permis notamment à bon nombre de communes (ex : Maurepas, Courbevoie, Arras, Saint-Cloud, Creil) de récupérer ou supprimer, des noms de domaine utilisant leurs noms avec la procédure Predec (remplacée aujourd’hui par Syreli, système de résolution des litiges) traitée par l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (AFNIC).

Cependant depuis 2011, le nouvel article L 45-2 du Code des Postes et des Communications Électroniques qui interdit l’enregistrement d’un nom de domaine " identique ou apparenté à celui de la République française, d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales ou d’une institution ou service public national ou local, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi ", a affaibli le dispositif de protection.

Pour s’en rendre compte, il convient d’avoir à l’esprit une décision AFNIC du 27 juillet 2012 relative à la commune de Balma. Cette dernière demandait la transmission du nom de domaine "Balma.fr" détenu par une société privée au motif principal que cette entreprise pratiquait ouvertement du cybersquatting.

Alors qu’avant 2011, le simple fait de reprendre "Balma" suffisait à transférer ou supprimer le nom de domaine, dans cette décision, il a été reproché à la commune de n’avoir pas su démontrer la mauvaise foi de la société qui n’avait ni l’intention de vendre le nom de domaine, ni de nuire à la réputation de la ville et ni même de provoquer un risque de confusion dans l’esprit du citoyen (le site comportait la mention "site non officiel de la commune"). L’AFNIC a donc rejeté la demande de la ville de Balma.

Signalons dans le même sens une récente décision de l’AFNIC du 17 décembre 2012 concluant à un refus de transmission du nom de domaine "guyancourt.fr" au profit de la ville de Guyancourt qui invoquait que le site guyancourt.fr géré par la société privée comportait des mentions préjudiciables à son image (une rubrique de rencontres selon la ville requérante).

A l’opposé, le Conseil Général du Jura a pu récupérer le nom de domaine "Jura.fr" utilisé par une société privée qui profitait de la renommée du département pour mettre en place des liens internet renvoyant vers des sites touristiques (décision AFNIC du 1er octobre 2012).

En tout état de cause, le défaut de production d’éléments attestant l’absence d’intérêt légitime ou la mauvaise foi du titulaire du nom de domaine conduit inexorablement les juridictions à refuser les demandes de transmission présentées par les collectivités locales. A cet égard, l’article R 20-44-46 du Code des Postes et des Communications Électroniquesdéfinit la notion d’intérêt légitime comme la possibilité pour un tiers d’utiliser le nom de domaine dans le cadre de vente de biens ou de services, d’être connu sous ce nom ou de faire un usage non commercial sans intention de tromper le consommateur. Quant à "la mauvaise foi", elle est globalement définie comme l’intention de vendre, louer ou transférer le nom de domaine à une collectivité, de nuire à sa réputation ou de profiter de sa renommé en créant la confusion dans l’esprit du consommateur.

Au regard de ce qui précède, on peut observer que le régime de protection des noms de domaine des collectivités locales est assez proche de celui des personnes privées et du droit des marques. Or, une telle perspective ne paraît pas à notre sens appropriée à la mission d’intérêt général dévolue aux collectivités territoriales, et plus largement à l’Etat, qui justifierait une immunité spécifique sur l’utilisation de leurs noms en tant que nom de domaine.

Mais la décision de la Cour de Cassation du 10 juillet 2012 pourrait marquer le début d’une nouvelle reconnaissance jurisprudentielle de la protection des noms des collectivités locales sur le web.

 

Rappel du contexte de l’affaire Marmande.fr

 

Depuis 2004, la société privée D. exploite le site web "Marmande.fr" pour réaliser des prestations de référencement, d’adressage et de boites aux lettres. Sur le fondement de l’article L 711-4 h) du Code de la Propriété Intellectuelle interdisant d’adopter comme marque un signe portant atteinte au nom, à l’image ou à la renommée d’une collectivité territoriale, la commune de Marmande (Lot-et-Garonne) décide alors d’assigner la société D. devant le juge des référés dans le cadre d’une action en concurrence déloyale. Le tribunal marmandais fait droit à sa demande et la ville de Marmande obtient la suppression et le blocage du nom de domaine "Marmande.fr".

Cependant le 14 juin 2011, la Cour d’appel d’Agen infirme la décision du juge des référés au motif qu’en 2004 aucune règle sur les noms de domaine des collectivités territoriales existait et que la protection de l’article L 711-4 h) du Code de la Propriété Intellectuelle ne concerne pas le nom de domaine des collectivités territoriales mais le dépôt de marque. Le site web "Marmande.fr" est donc réouvert et la société D. a continué à délivrer des prestations autour du nom de domaine marmande.fr sans rapport avec la commune. Décidé à protéger le nom de sa ville, le maire de Marmande saisit alors la Cour de Cassation de l’affaire.

 

Décision de la Cour de Cassation

 

Sans statuer sur le fond, le juge casse l’arrêt du 14 juin 2011 au motif que la Cour d’Appel n’a pas recherché "ainsi qu’elle y était invitée, si l’utilisation du nom de la commune de Marmande n’était pas constitutif à son égard d’un acte de concurrence déloyale et, par voie de conséquence, d’un trouble manifestement illicite, en raison du risque de confusion qui pouvait en résulter dans l’esprit du public [...]". Le juge de cassation renvoie alors les parties devant la Cour d’Appel de Bordeaux.

L’arrêt du 10 juillet 2012 : une nouvelle opportunité pour protéger les noms de domaine correspondant à l’appellation d’une collectivité ?

Si la Cour de Cassation ne condamne pas clairement le raisonnement de la juridiction d’appel, on peut d’ores et déjà retenir, à la lumière de ce contentieux, que le rejet de la conclusion de l’absence de trouble manifestement illicite ouvre la faculté pour une collectivité locale d’agir sur le terrain de la responsabilité civile contre un nom de domaine enregistré abusivement par un tiers.

C’est une protection plus générale pour les collectivités locales qui avait déjà été reconnue par certains tribunaux pour sanctionner tout dépôt de noms de domaine constituant un acte de parasitisme (Pour le nom de domaine paris2000.info : CA Paris, 4è Ch, section A, 27 oct. 2004, Philippe C. / Cnosf, Ville de Paris, Nepif ; pour le nom de domaine montpellier : CA Montpellier ch. 5, section A, 16 oct. 2008, n° 08/00878, La Voix du Riberale/Cne de Saint-Estève).

L’action en justice d’une collectivité locale lésée sur la base de l’article 1382 du Code civil, en s’appuyant sur l’article L.711-4 du Code de la propriété intellectuelle, avait également été envisagée par une réponse ministérielle de 2012 (Rép. min, JO AN 27/03/2012, p. 2561).

La reconnaissance de la protection du nom des collectivités locales en tant que nom de domaine n’est donc pas inéluctable. Les éléments relatifs à l’action en concurrence déloyale, même si l’approche paraît relativement impressionniste dans le secteur public, peuvent forger la conviction du juge et conduire à sanctionner toute société privée ayant enregistré abusivement un nom de domaine correspondant à l’appellation d’une collectivité.

Ceci étant posé, il reste que dans l’affaire de la ville de Marmande, il conviendra d’attendre la décision de la Cour d’appel de Bordeaux pour en tirer des conclusions formelles. De plus, et au risque d’en ajouter, le problème de l’utilisation du nom d’une collectivité publique comme nom de domaine ne cessera pas de se poser avec une particulière acuité comme l’atteste le site lafrance.fr qui appartient à une société privée !

 

 Source : Village de la justice

 

 

Moyens techniques :
Domaine.info

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